Si comme le révélait PC INpact, le sénateur Assouline va renoncer à transférer tout de suite au CSA les pouvoirs de la Hadopi, des amendements déposés dans le cadre du projet de loi sur l’audiovisuel témoignent du mouvement dénoncé par Philippe AIgrain. Celui de la « télévisionnisation de l’internet ». [...] Ces deux amendements sont à raccrocher directement à un récent billet de Philippe Aigrain. Celui-ci dénonce justement « la télévisionnisation de l’internet », véritable « Arlésienne politique ». Pour l’auteur de Sharing, « la transformation d’une autorité de l’audiovisuel (entendre la télévision et la radio) en « autorité de l’internet et de l’audiovisuel » constituerait un véritable saccage d’un bien commun précieux. C’est bien pour cela qu’elle est désirée conjointement par des groupes d’intérêts des industries de la rareté et par les politiques qui ont besoin de contrôler l’espace public au moins avant quelques élections clés. » (http://paigrain.debatpublic.net/?p=7699) Le cofondateur de la Quadrature du net rappelle que « l’informatique, internet et les pratiques numériques des individus permettent à tout un chacun de produire et traiter de l’information, de l’échanger, de la diffuser, de communiquer entre eux à travers elle, de coordonner leurs actions à des échelles qui étaient autrefois réservées aux grandes organisations de l’État et des entreprises. » Avec Internet, nous avons basculé dans le champ de l’éparpillement où une myriade d’émetteurs est aujourd’hui en capacité de diffuser de l’information pour concurrencer une poignée de médias de flux qui orchestrait autrefois la mise en musique de l’information. « On est donc passé d’un monde où un petit nombre d’émetteurs « parlait » à des milliards de récepteurs à un monde où ces émetteurs centralisés sont toujours là, mais où, en parallèle des milliards d’émetteurs échangent entre eux, parfois directement et parfois à travers différentes formes d’intermédiation qui peuvent elles-mêmes être sources de nouveaux pouvoirs. Télévisionniser l’internet, espace de l’abondance (des sources, des contenus, des interactions) en le plaçant sous la tutelle d’une autorité administrative dont la nature est précisément de gérer l’allocation de la rareté, constitue une violence symbolique majeure. »
De la pilule, du beurre et de la sémantique. Hier devant la commission des affaires culturelles, Olivier Schrameck et Aurélie Filippetti ont tous les deux milité pour un transfert rapide des compétences de l’Hadopi au CSA. À cette occasion, le président du CSA a réajusté son discours sur les rapports entre numérique et audiovisuel. Pas plus tard que le 24 juillet 2013, le président du CSA tentait de justifier le déploiement tentaculaire du CSA sur le net par ces mots fleuris : « Internet n’a pas de frontière, mais précisément il est à l’intérieur des frontières de l’audiovisuel, par tous les canaux d’accès, les ordiphones, les tablettes, les ordinateurs, la télévision connectée qui se développe de plus en plus. C’est bien Internet qui surgit au sein de la télévision, qui l’accompagne même avec ses écrans compagnons qui permettent d’assurer une réactivité. » Bref, l’audiovisuel englobant le numérique, le CSA qui contrôler l’audiovisuel doit contrôle le numérique. Compris ? [...] Devant chaque audition en commission des affaires culturelles, Aurélie Filippetti annonce enfin une « réorientation très nette de la politique de lutte contre le piratage vers la lutte contre la contrefaçon commerciale. » La réorientation laisse entendre un changement de cap. On abandonne une route pour une autre. On file vers l’Ouest quand hier on voguait vers l’Est. En réalité, il n’en rien : la riposte graduée sera dédoublée d’une action contre les sites. Un cumul, non une réorientation. Qu’ils soient commerciaux ou non marchands, il y aura surveillance, analyse et sanction de ces deux fronts d’échange. Ce méli-mélo sémantique est sans doute inévitable pour toute ancienne opposante à la politique pénale de son prédécesseur qui compte aujourd’hui l’amplifier, la muscler, la démultiplier.