Une de ses propositions, cependant, ne peut pas passer inaperçue quand, comme moi, on a suivi depuis 20 ans toutes les tentatives des gouvernements successifs pour restaurer le contrôle vertical de la parole publique: la création d'une « agence spécifique de régulation ».
Cette agence aurait, entre autres prérogatives, la charge de notifier les intermédiaires des contenus "manifestement illicites" qu'ils doivent, d'après la LCEN, faire disparaître dès qu'ils en sont informés.
Dit comme ça, au milieu de centaines de pages indigestes, ça semble anodin. Ça ne l'est pas, et surtout c'est symptomatique de la façon dont nos élites considèrent Internet.
Ce n'est pas anodin parce que, dans un État de droit - forcément respectueux de la liberté d'expression, c'est le juge judiciaire qui décide de la légalité ou non d'un contenu mis en ligne par un simple citoyen, et en aucun cas une autorité administrative.
Que l'expression de certains corps sociaux (médecins, journalistes, militaires...) soit régulée par des textes et des organismes spécifiques, c'est une chose. Mais que l'expression de tout-un-chacun doive respecter autre chose que le droit commun, et c'est toute la notion d'État de droit qui part à la dérive.
Et c'est d'autant moins anodin que, dès lors que la responsabilité pénale du contenu repose - dès son signalement - sur l'intermédiaire technique qui en est notifié, il ne fait aucun doute que celui-ci supprimera le site en cause sans autre forme de procès. Ne comptez pas sur votre hébergeur pour assurer un quelconque risque juridique à votre place.
L'autorité indépendante de censure d'État
L'agence en question deviendrait donc, de facto, en charge de la censure d'État (puisqu'étant placée sous la tutelle d'une délégation interministérielle), en dehors du cadre judiciaire, et transformerait en agents de la force publique des intermédiaires techniques dont ce n'est pas le rôle.
Et ceci se ferait sans contre-pouvoir de quelque sorte que ce soit, puisque « l'atteinte à la liberté d'expression » n'est pas un délit reconnu par notre code pénal (ce qui est une infamie en soi puisque ça interdit tout recours - hors CEDH - à celui qui voit son propos censuré).
Un tel pouvoir - établi en dehors du droit commun - est tout simplement inacceptable. Il est néanmoins proposé.
Ce n'est pas la première fois, loin de là, que cette idée revient. Sans refaire tout l'historique des tentatives plus ou moins baroques du même ordre, on peut remonter jusqu'en 1996, à l'époque où un certain François Fillon (alors ministre des Télécommunications) avait fait voter la création d'un « Conseil Supérieur de la Télématique » doté des mêmes pouvoirs. Sa loi fut retoquée par le Conseil Constitutionnel, mais ça n'a visiblement jamais découragé notre exécutif.
Et c'est en ceci que cette proposition est symptomatique d'une grave maladie chez ceux qui nous gouvernent. Non pas qu'ils veuillent contrôler l'expression publique: ils l'ont toujours fait. Non plus qu'ils aient une passion pour les "Autorités" diverses et variées: notre administration en est saturée.
Dans un rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale le 17 septembre 2013, la délégation aux droits de la femme et à l’égalité des chances préconise plusieurs mesures pour renforcer la lutte contre la prostitution. La députée Maud Olivier réclame spécialement le filtrage ou plutôt blocage administratif des sites proposant ces services tarifés.
Deux ans après la publication de ses 10 propositions, l'ARCEP a remis au Parlement et au Gouvernement son rapport sur la neutralité de l'internet.
Ce rapport comprend une analyse des enjeux techniques et économiques, une description des compétences du régulateur et un point d'étape sur les travaux de l'Autorité : amélioration de la transparence des offres, mise en place d'un observatoire de la qualité de service, encadrement de la gestion de trafic, suivi de l'interconnexion.
Il souligne des améliorations (notamment la diminution des blocages sur les offres mobiles d'accès à l'internet) mais met aussi en évidence des risques de dégradation qui appellent une vigilance active.
Il appartient désormais au Parlement et au Gouvernement de déterminer les suites qu'ils souhaitent donner à ce rapport.