De la pilule, du beurre et de la sémantique. Hier devant la commission des affaires culturelles, Olivier Schrameck et Aurélie Filippetti ont tous les deux milité pour un transfert rapide des compétences de l’Hadopi au CSA. À cette occasion, le président du CSA a réajusté son discours sur les rapports entre numérique et audiovisuel. Pas plus tard que le 24 juillet 2013, le président du CSA tentait de justifier le déploiement tentaculaire du CSA sur le net par ces mots fleuris : « Internet n’a pas de frontière, mais précisément il est à l’intérieur des frontières de l’audiovisuel, par tous les canaux d’accès, les ordiphones, les tablettes, les ordinateurs, la télévision connectée qui se développe de plus en plus. C’est bien Internet qui surgit au sein de la télévision, qui l’accompagne même avec ses écrans compagnons qui permettent d’assurer une réactivité. » Bref, l’audiovisuel englobant le numérique, le CSA qui contrôler l’audiovisuel doit contrôle le numérique. Compris ? [...] Devant chaque audition en commission des affaires culturelles, Aurélie Filippetti annonce enfin une « réorientation très nette de la politique de lutte contre le piratage vers la lutte contre la contrefaçon commerciale. » La réorientation laisse entendre un changement de cap. On abandonne une route pour une autre. On file vers l’Ouest quand hier on voguait vers l’Est. En réalité, il n’en rien : la riposte graduée sera dédoublée d’une action contre les sites. Un cumul, non une réorientation. Qu’ils soient commerciaux ou non marchands, il y aura surveillance, analyse et sanction de ces deux fronts d’échange. Ce méli-mélo sémantique est sans doute inévitable pour toute ancienne opposante à la politique pénale de son prédécesseur qui compte aujourd’hui l’amplifier, la muscler, la démultiplier.
"Etonné des proportions que cela prend", le directeur de l'information du groupe, Nicolas Chatin, explique que SFR "gère de façon dynamique le trafic sur le réseau, que ce soit fixe ou mobile. Nous utilisons des optimiseurs en 3G pour un affichage plus rapide." Le directeur de l'information confirme qu'à sa connaissance, "il n'existe pas d'option pour désactiver" cette optimisation. Mais surtout, pour lui, il n'y a pas de sujet au niveau de la neutralité du Net : "On refait le débat d'il y a cinq ans : si je regarde le contenu à l'intérieur, que je filtre ou que je ne distribue pas, c'est une atteinte à la neutralité. Mais nous ne filtrons pas et nous ne le ferons pas." En clair, tant que le Web est délivré tel quel à l'utilisateur, sans modifications au niveau des contenus, il n'y pas matière à attaquer l'opérateur.
L'action du régulateur des télécoms, l'Arcep, ne convient pas au gouvernement. Dans un rapport confidentiel, révélé par BFM, les ministères du redressement productif, de la culture et de l'économie numérique se montrent critiques sur son action. Cette "version de travail", selon la ministre Fleur Pellerin, détaille des orientations sur le marché des télécoms, notamment une réduction des pouvoirs de l'autorité indépendante. Pour les deux ministères de Bercy, l'Arcep serait un "régulateur défaillant" qui "n'a pas pu, ou pas voulu, développer une véritable stratégie industrielle qui permette aux acteurs français de rester performants et compétitifs". Au cœur des griefs exprimés dans le rapport se trouvent l'arrivée d'un quatrième opérateur et le lent déploiement du très haut débit en France, sur lesquels l'autorité aurait pris de mauvaises décisions.[...] La neutralité du Net, le principe de non-discrimination des contenus et utilisateurs sur Internet, pourrait également être une autre source de tension entre le régulateur et le gouvernement. L'Arcep s'est imposée comme un fervent défenseur de ce principe, pour lequel il recommande des règles de transparence et une régulation forte des exceptions, notamment pour la gestion du trafic. Elle est d'ailleurs intervenue officieusement, puis officiellement, dans le contentieux entre Free et Google. Le gouvernement, lui, aurait une vision plus limitée de la neutralité, notamment en permettant une gestion de trafic raisonnable, des connexions à plusieurs vitesses ou encore le paiement des nouvelles capacités de connexion par les services Internet (comme Google pour YouTube). Si l'Arcep ne se prononce pas directement contre ces points, ils détonent avec un Internet commun à tous les usagers. Le rapport sur la neutralité remis par le Conseil national du numérique à Fleur Pellerin laisse également une grande place à la gestion du réseau et étend la neutralité aux services Internet "essentiels", comme les moteurs de recherche. Enfin, la régulation des contenus sur Internet, souhaitée par le CSA depuis près de quinze ans, ne passera vraisemblalement pas par une fusion avec l'Arcep. Le gouvernement craindrait ainsi de confier "un poids politique considérable à l'autorité de régulation [unique], au détriment de l'Etat central", pour des problématiques encore peu existantes.