Il est désormais entendu que le transfert de l'Hadopi vers le CSA passera vraisemblablement par une législation sur la Culture, l'année prochaine. L'amendement qui devait assurer cette transition n'a pas été adopté, et de nouveau se pose la question, pour les uns, de la lutte contre le téléchargement illégal, pour les autres, de la légalisation des échanges non-marchands. Débat.
Auditionnée mardi par la commission des affaires culturelles et de l’éducation du Sénat, la ministre de la culture a annoncé que le gouvernement avait arbitré en faveur du transfert des responsabilités de l’HADOPI au CSA1. et laissé entendre que ce transfert s’effectuerait par le biais d’un amendement à la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public en cours de débat au Sénat. Le même jour, le sénateur David Assouline a explicitement défendu l’approche d’un passage en force de ce transfert au moyen d’un amendement au Sénat. Cette approche suscite l’indignation y compris parmi certains parlementaires de divers bords. La méthode et le fond méritent plus que la seule indignation : nous avons sous les yeux un stade avancé de dérive post-démocratique où l’on tente de faire passer une décision accablante en s’évitant d’avoir à l’assumer pour ce qu’elle est. Je tente d’analyser ici la proposition au fond, de détailler ce qu’il en est de la méthode et j’appelle chacun à s’opposer avec énergie aux deux.
La télévisionnisation de l’internet
L’idée de confier au CSA la responsabilité de l’encadrement d’internet n’est pas nouvelle, c’est même une arlésienne politique. On en a parlé depuis plus de 10 ans, mais à chaque fois, les politiques ont renoncé avant même le stade des propositions législatives. La transformation d’une autorité de l’audiovisuel (entendre la télévision et la radio) en « autorité de l’internet et de l’audiovisuel » constituerait un véritable saccage d’un bien commun précieux. C’est bien pour cela qu’elle est désirée conjointement par des groupes d’intérêts des industries de la rareté et par les politiques qui ont besoin de contrôler l’espace public au moins avant quelques élections clés.
De la pilule, du beurre et de la sémantique. Hier devant la commission des affaires culturelles, Olivier Schrameck et Aurélie Filippetti ont tous les deux milité pour un transfert rapide des compétences de l’Hadopi au CSA. À cette occasion, le président du CSA a réajusté son discours sur les rapports entre numérique et audiovisuel. Pas plus tard que le 24 juillet 2013, le président du CSA tentait de justifier le déploiement tentaculaire du CSA sur le net par ces mots fleuris : « Internet n’a pas de frontière, mais précisément il est à l’intérieur des frontières de l’audiovisuel, par tous les canaux d’accès, les ordiphones, les tablettes, les ordinateurs, la télévision connectée qui se développe de plus en plus. C’est bien Internet qui surgit au sein de la télévision, qui l’accompagne même avec ses écrans compagnons qui permettent d’assurer une réactivité. » Bref, l’audiovisuel englobant le numérique, le CSA qui contrôler l’audiovisuel doit contrôle le numérique. Compris ? [...] Devant chaque audition en commission des affaires culturelles, Aurélie Filippetti annonce enfin une « réorientation très nette de la politique de lutte contre le piratage vers la lutte contre la contrefaçon commerciale. » La réorientation laisse entendre un changement de cap. On abandonne une route pour une autre. On file vers l’Ouest quand hier on voguait vers l’Est. En réalité, il n’en rien : la riposte graduée sera dédoublée d’une action contre les sites. Un cumul, non une réorientation. Qu’ils soient commerciaux ou non marchands, il y aura surveillance, analyse et sanction de ces deux fronts d’échange. Ce méli-mélo sémantique est sans doute inévitable pour toute ancienne opposante à la politique pénale de son prédécesseur qui compte aujourd’hui l’amplifier, la muscler, la démultiplier.