Le combat pour une informatique émancipatrice échoue le plus souvent à expliquer les effroyables coûts écologiques et humains du numérique, expliquent les auteurs de cette tribune. Qui proposent des pistes pour un internet low-tech afin de nous émanciper des sphères technocratiques et industrielles. [...] Félix Tréguer est membre fondateur de La Quadrature du Net — association de défense des libertés publiques à l’ère numérique. Gaël Trouvé est cofondateur de Scolopendre – hackerspace visant une réappropriation citoyenne de la gestion des déchets électroniques. [...] Sans pour autant abandonner ces importants combats, il faut aussi aller plus loin que la simple promotion des logiciels libres et des alternatives décentralisées aux services dominants, pour réfléchir à la manière dont se réapproprier l’ensemble de l’infrastructure numérique. Les initiatives en faveur d’une gestion associative ou coopérative de l’hébergement, de la fourniture d’accès à internet ou du réemploi du matériel informatique dessinent des pistes intéressantes pour œuvrer à une maîtrise locale, démocratique et en « circuit court » de nos outils de communication [9]. Sur le plan des usages enfin, il s’agirait de faire le tri, d’engager un débat sur les pratiques informatiques que l’on souhaite préserver et cultiver – parce qu’elles sont les véhicules d’expressions citoyennes ou artistiques, de solidarités renouvelées, de partages de savoirs –, et celles, chronophages, addictives et aliénantes dont on gagnerait à s’affranchir. Ce ne sont là que quelques esquisses des lignes de front possibles d’une politique hacker-luddite capable de redonner sa cohérence à la défense des libertés à l’ère numérique, tout en contribuant au renforcement des convergences militantes. Pour ainsi faire en sorte que l’idée d’internet — celle d’un réseau de communication mondial et acentré — puisse survivre au système technicien dont il est le fruit.
Pour les entreprises européennes, les révélations de M. Snowden ont constitué une aubaine. En France, l’argument de la « souveraineté numérique » face à l’espionnage de la NSA a permis de légitimer un investissement de l’Etat, décidé en 2009, de 285 millions d’euros dans deux projets de centres « souverains » de stockage de données. Le projet piloté par Orange comme celui de SFR se soldent pour l’instant par des fiascos commerciaux, et ce alors que plusieurs entreprises françaises, comme OVH ou Gandi, proposent déjà des offres similaires. Pour ces grands acteurs des télécoms, il s’agit en fait de renforcer leur position sur les marchés européens face à la concurrence américaine ou asiatique, en échange d’une collaboration avec les Etats dans leurs activités de surveillance. Tandis que M. Stéphane Richard, président-directeur général d’Orange, fustige Google et ses « données cryptées » qui « partent sur des data centers dont on ignore tout » (Le Point, 11 décembre 2014), M. Michel Combes, dirigeant d’Alcatel, estime qu’il « ne serait pas illogique de permettre aux pouvoirs publics de savoir ce qui se passe sur les réseaux, dans un cadre juridique approprié » (Les Echos, 1er mars 2015).
Quant à juger si la loi sur le renseignement constitue ou non un « cadre juridique approprié », les deux patrons français, comme leurs concurrents américains, se sont jusqu’à présent montrés bien silencieux.