Après la tempête des débats sur la loi Renseignement, le gouvernement pouvait-il espérer une mer d’huile ? C’est raté. Outre des procédures en cours devant la CEDH, un avis de tempête s’annonce sur le flanc de ce texte aujourd’hui en application. Avec l'aide du cabinet Spinosi, c’est une pluie de procédures qu’ont décidé de lancer la Quadrature du Net, FDN, FFDN et Igwan, un fournisseur d’accès associatif dans les Antilles, membre de la fédération FDN. Les requêtes publiées ce matin ciblent tout particulièrement les décrets de la loi Renseignement, des textes d’application aujourd’hui (presque) tous entrés en vigueur. De ce tremplin, les requérants sollicitent le Conseil d’État, la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil constitutionnel.
Algorisme vs droit de l'hommisme
ne pluie d’actions devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Voilà ce qui s’est abattu sur la France avec pour cible principale, la loi sur le renseignement de juillet 2015.
On connaissait déjà la plainte de l’Association confraternelle de la presse judiciaire, celle de l’Ordre des avocats au barreau de Paris et d'Olivier Sur, son président, celle encore du Conseil national des barreaux, et plus récemment du Syndicat national des journalistes et de la Fédération internationale des journalistes.
En substance, les atteintes au texte de la CEDH seraient multiples : atteinte au secret des sources des journalistes, atteinte au secret professionnel de l’avocat, etc. Si ces professions dites à risque bénéficient, dans la loi, d’un régime plus protecteur, ce formalisme se fragilise en pratique puisqu’il est impossible, lors d’un ample recueil de données de connexion, d’isoler celles qui relèvent ou non de ces acteurs. De même, seules les informations relatives à leur profession ou mandat profitent de ce surplus de garanties. Or, il est consubstantiellement impossible d’anticiper dans un échange à venir, celles des données relevant de leur vie privée ou de leur activité.
13 actions dirigées contre la France
Mais d'autres reproches ont pu être émis, compte tenu de la ribambelle de procédures initiées contre la France. Selon l’inventaire dressé par Policyreview.info, ce ne sont en effet pas moins de 13 actions qui visent ce texte censé avoir trouvé l’équilibre idéal entre atteintes à la vie privée et nécessités de maintien de l’ordre et de la sécurité publics :
Association Confraternelle de la Presse Judiciaire et autres v. France
Martin v. France
Lecomte v. France
Babonneau v. France
Souchard v. France
Triomphe v. France
Egre v. France
Deniau v. France
Ordre des Avocats au Barreau de Paris v. France
Sur v. France
Eydoux v. France
Conseil National des Barreaux v. France
Syndicat National Des Journalistes et la Fédération Internationale des Journalistes v. France
Dans ce lot, sept des recours nominaux concernent sept membres du bureau de l'association de la presse judiciaire. On devrait donc retrouver mécaniquement les arguments portés par les associations et syndicats du secteur.
Des garanties sur le papier, des fragilités en pratique
Rappelons que la loi sur le renseignement a accru les moyens des services du renseignement, eux-mêmes également démultipliés. Sur le papier, les possibilités d’intrusions légales ont été encadrées et donc autorisées pour toute une série de finalités rédigées en des termes très vastes, dont la prévention du terrorisme mais également en matière d’intelligence économique.
Sa grande sœur, la loi sur la surveillance des communications internationales a rendu plus musclé encore ces outils, avec un accompagnement formaliste en net retrait. Pour les communications reçues ou émises depuis l’étranger, il n’y pas de passage a priori devant la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement, laquelle n’intervient qu’après l’atteinte à la vie privée.
Ajoutons enfin que la CNCTR elle-même a critiqué le déficit de centralisation des renseignements collectés. Ce problème risque en effet de reléguer au rôle de simple cache-sexe l’utilité normalement attendue de cette instance administrative.
a France devra subir un nouveau front devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Après l’association de la presse judiciaire et l’Ordre des avocats de Paris, nous avons appris que le Conseil national des barreaux s’était à son tour attaqué à la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement.
Cet établissement d'utilité publique, qui représente l'ensemble des avocats exerçant en France, estime que l’entrée en vigueur de ce texte crée de lui-même « une menace de surveillance pour tous ceux auxquels on pourrait l’appliquer ». Selon les informations qui nous ont été communiquées par le CNB, celui-ci juge les différentes techniques de renseignement comme « particulièrement intrusives », susceptibles d’intervenir dans « des affaires particulièrement sensibles qui touchent aux intérêts fondamentaux de la Nation visés à l’article 811-2 du Code de la sécurité intérieure ».
Il y aurait ainsi violation de l’article 8 de la CEDH qui proclame le droit de toute personne au respect de sa vie privée, familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Ces derniers jours, le Conseil constitutionnel a rendu son verdict sur le projet de loi relatif au renseignement, ainsi que sur la QPC que nous lui avions soumise (voir billets précédents). Le résultat est très négatif, et le bilan fort sombre pour l'avenir. [...] De notre coté, nous autres FDN, LQDN et FFDN, allons poursuivre nos procédures. Comme Benjamin et moi l'expliquions lors de notre conférence à PSES, l'objectif principal et potentiellement atteignable à court ou moyen terme est celui de la data retention : faire tomber la législation française sur la conservation des données au regard des décisions européennes, par un moyen ou un autre. Notre recours devant le Conseil d'État sur le décret d'application de l'article 20 de la LPM, qui était suspendu pour la durée de l'étude de la QPC, va se poursuivre dans les mois qui viennent. Nous aurons peut-être également l'occasion d'attaquer plus frontalement la data retention dans les semaines à venir. Sans oublier nos deux recours sur les décrets blocage administratif de sites web et déréférencement issus de la loi Cazeneuve, qui poursuivent également leurs cours : le gouvernement a été mis en demeure de produire des observations il y a peu, ça devrait donc bouger bientôt. À plus long terme, l'avenir nous dira si l'on va ou non jouer devant les hautes cours européennes. CEDH, CJUE... Dans tous les cas, pareilles procédures prendraient au bas mot quelques années avant d'aboutir. Bref, nous avons encore du pain sur la planche, et de l'énergie à conserver. [...] À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. (JF Kennedy) Oui, le chiffrement nous donne un peu d'espace pour respirer. Du moins tant qu'il n'est pas interdit. Mais ce n'est pas une solution. Le chiffrement ne rétablira pas la démocratie. Le problème est politique.
Voilà, le Conseil Constitutionnel vient de valider l’essentiel de la loi Renseignement. Oui, il y aura bien des boites noires en France destinées à surveiller des pans entiers de l’Internet français. Oui, la surveillance de masse (pas généralisée, mais de masse) est maintenant autorisée par la loi. [...] Non, messieurs Valls et Hollande, la loi ne donne pas les moyens. Les services avaient déjà les moyens et les utilisaient illégalement, maintenant ils ont le droit de les utiliser. Ensuite ça ne va rien changer : les personnes ayant des choses à cacher (c’est à dire tout le monde) pourront avoir recours au chiffrement. Et enfin, les droits individuels et la vie privée sont bafoués comme jamais. Affirmer avec aplomb en boucle un mensonge éhonté n’en fait pas une vérité. [...] J’espérais bien sûr de meilleures nouvelles en provenance du Conseil Constitutionnel. Mais les choses sont ce qu’elles sont, et il faut rester mobilisés pour la suite. J’ai la terrible impression qu’il se dessine un modèle où l’État n’est plus au service des citoyens mais vise à protéger une minorité de puissants contre les citoyens. Pour cela, l’État se doit de contrôler le citoyen et la surveillance de masse est un outil vital à cet effet. Cette surveillance sera, avec la publication des décrets d’application de la loi Renseignement (déjà surnommée “Loi Rance”), légalement autorisée. [...] Il nous faudra aussi soutenir ceux qui voudront attaquer la loi Renseignement auprès de la CEDH. Cela ne devrait pas tarder. En attendant, peaufinons nos systèmes de chiffrement !