(Rédigé collectivement)
Ce post se veut être une réponse à l'article des Échos en date du 24 Mai et intitulé "Pourquoi il y a urgence à reconstruire le réseau des réseaux"
(http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0202777825502-pourquoi-il-y-a-urgence-a-reconstruire-le-reseau-des-reseaux-569033.php ) :
Changer Internet pour que puissent fonctionner Skype, Akamai ou Google ? Il serait saturé, obsolète, ne correspondrait plus aux besoins d'aujourd'hui ?
C'est un vieux refrain : Internet à bout de souffle, vite du changement, des services à la carte et des abonnements Internet à plusieurs vitesses ! Voilà ce que l'on entend dans ce champ sémantique...
Le développement d'Internet continue en tout cas à se faire par l'usage et son appropriation culturelle, et ceci en dehors des gros groupes financiers qui captent l'attention des médias.
Tout d'abord, en quelques mots, qu'est-ce que le protocole IP ?
C'est le système permettant d'avoir une adresse sur le réseau. Tout comme votre adresse postale permet d'identifier l'endroit où vous contacter sur Terre, IP permet de savoir où vous contacter sur le réseau. Ce qu'il faut comprendre pour la suite c'est ce que nous appelons "en-dessous d'IP" et "au-dessus d'IP".
Ce qui est en-dessous d'IP, ce sont les tuyaux. Tout comme La Poste achemine le courrier par différents moyens (route, avion), les systèmes sous-jacents à IP fournissent ces différents moyens (Ethernet, wifi, ADSL, ...). Au-dessus d'IP, on peut ensuite construire ce que l'on veut: différents types de flux de données, des sessions utilisateurs, et enfin toute une variété de contenus. Tout comme l'adresse postale permet d'acheminer différents types de lettres ou colis, qui peuvent contenir n'importe quoi.
Tâchons maintenant de décortiquer l'article en question d'un point de vue technique : faut-il vraiment remplacer le protocole Internet (IP) par autre chose ?
[...] des vidéos qui mettent des heures à se charger [...]
Le tuyau est trop petit, c'est tout. Le problème n'est pas le protocole IP, mais en dessous, au niveau physique, où à cause d'une stratégie commerciale on refuse de poser un tuyau plus gros. Pour être exact Internet est loin d'être saturé. Actuellement, sur les tuyaux d'Internet, on peut faire passer sans problème de très grands débits, et on voit sans cesse arriver des technologies qui permettent de passer à la vitesse supérieure. Par contre les opérateurs préfèrent alimenter leurs actionnaires plutôt que d'investir dans leurs infrastructures, alors que le coût, ramené à chaque abonné, serait très faible.
Par ailleurs, si ces vidéos sont lentes à se charger, c'est soit parce que des intérêts commerciaux poussent à délibérément ralentir les débits (exemple: cas Free-Youtube ou les affinités de Orange avec sa filiale Dailymotion), soit parce qu'elles sont toutes hébergées au même endroit (Vous avez dit « Minitel » ? www.fdn.fr/internet-libre-ou-minitel-2.html ). Que ce soit avec Internet ou un autre type de réseau, héberger tout au même endroit ne peut pas fonctionner (ou du moins pas à la demande ; la diffusion par antenne de télévision fonctionne très bien en revanche). La solution n'est pas de changer le cœur d'Internet, mais de changer la manière dont on déploie ce que l'on fait dessus : de manière acentrée plutôt que centralisée..
Certaines entreprises ont déjà fabriqué une « surcouche » au-dessus de l’Internet pour leurs besoins propres.
IP est justement fait pour que l'on mette par-dessus de nombreuses "surcouches". C'est le principe du droit à l'innovation, qui prévaut sur Internet et a permis de le construire. Dans l'exemple fourni, ces entreprises utilisent cette surcouche pour justement décentraliser la diffusion des vidéos mentionnées ci-dessus par-dessus IP, ce qui est tout à fait normal.
[...] lutter contre les tentatives d’intrusion informatique.
Permettre à des ordinateurs de communiquer entre eux sur un réseau, c'est les exposer de toute façon. Ce problème n'est pas inhérent à IP ni aux réseaux. Si des intrusions ont lieu, c'est parce que les ordinateurs eux-mêmes sont mal protégés. La solution à ce problème passe par la sécurisation des ordinateurs (car les tentatives d'intrusion sont plus fréquentes que par le passé), et ne peut pas se faire par des modifications au niveau des réseaux.
Des boîtes mail envahies par le « pourriel »
Le protocole utilisé pour échanger des courriels, SMTP, est effectivement trop simple pour pouvoir lutter facilement contre cela. Cependant, le problème n'est pas au niveau d'IP ou du réseau physique sous-jacent, mais au niveau des protocoles utilisés par-dessus. Le cadre légal et commercial a également sa part de responsabilité.
On ne demande pas la même chose à un réseau conçu pour raccorder entre eux quelques centaines de scientifiques et à un vortex aspirant plus de 2,4 milliards d’internautes [...]
Justement, IP a été pensé pour les deux, et il se trouve que l'on constate qu'il fonctionne très bien, tant que les aspects commerciaux ne viennent pas distordre la manière dont on le fait fonctionner.
[...] surtout quand ces derniers se connectent depuis tous types d’écran, font du commerce en ligne [...]
Cela n'a aucun rapport avec IP.
[...] ou des interventions chirurgicales assistées à distance.
Internet n'apporte pas de garantie pour ce genre de chose, effectivement, et il faut donc utiliser un lien dédié pour cela. Mais l'on peut continuer à utiliser IP sur ce lien, ce qui simplifie son administration.
L’Internet n’est plus un réseau de réseaux, mais un seul gros réseau.
C'est une affirmation tendancieuse. Même si les adresses IPs permettent d'en avoir une vision apparemment globale, Internet est un réseau de réseaux IP, par construction même, et utilisant différents types de réseaux matériels. Certes, de nos jours on utilise a priori IP, notamment parce que cela simplifie beaucoup la gestion. On peut cependant sur certains réseaux utiliser d'autres protocoles, pourvu que l'on ait un point de traduction avec IP pour pouvoir communiquer avec le reste d'Internet.
[...] gelé les initiatives qui auraient pu conduire à l’essor d’un Internet à la croissance plus lente, mais plus sécurisée.
Mettre la sécurité au cœur du réseau, c'est cher et lent. Pour la plupart des usages cela n'a aucun intérêt. Si l'on a des besoins particuliers, on peut très bien utiliser IP sur des liens dédiés isolés, cela ne pose aucun problème. C'est par exemple ce que de très nombreuses entreprises utilisent au quotidien pour garantir la sécurité de leurs données. Pour ce qui est de la sécurité, ce serait d'ailleurs illogique de faire autrement : peut-on vraiment laisser la sécurité de nos communications à des opérateurs tiers ? Il vaut mieux s'assurer de la sécurité de bout en bout, ce qui est justement ce que l'on fait sur IP.
[...] sur Internet, les adresses IP confondent identité et localisation.
En effet, c'est un souci, et il y a justement des travaux en cours là-dessus. http://www.bortzmeyer.org/6830.html
[...] une entreprise qui a pris des abonnements chez deux fournisseurs d’accès pour des raisons de sécurité ou de tarifs se voit attribuer deux plages d’adresses IP séparées. Si elles étaient regroupées sous une dénomination commune, on aurait plus de chances d’entrer en contact avec elles. De ce problème d’adresses IP découle toutes sortes d’autres contraintes : allocation des ressources réseau, gestion de la mobilité...
C'est parce que l'entreprise n'a pas construit son réseau comme elle le devrait. Pour avoir une dénomination commune, il suffit d'allouer ses adresses IPs auprès de l'administration qui distribue les IPs, le RIPE (ou passer par un intermédiaire, appelé LIR), et de passer par les deux fournisseurs d'accès pour amener ces adresses IPs via les deux connexions, et ainsi avoir la redondance. "Fournisseur d'accès" ne veut pas obligatoirement dire "fournisseur d'adresse IP".
Pour donner un exemple : l'infrastructure Aquilenet utilise principalement Syntis comme fournisseur d'accès, et devrait bientôt utiliser aussi Resolutio. Ce ne sont ni l'un ni l'autre qui nous attribuent nos adresses IPs. Celles-ci sont attribuées par Kazar, qui est une toute autre entité (c'est d'ailleurs une association). Si Syntis ou Resolutio tombe en panne, le trafic peut passer par l'autre, de manière complètement transparente.
[...] on pourrait décider d’identifier des contenus ou des services au lieu de machines, ce serait un changement complet de paradigme [...] Des entreprises comme Google y auraient intérêt : alors qu’aujourd’hui elles sont obligées de négocier avec les opérateurs télécoms pour mettre leurs serveurs de contenus chez eux,elles prendraient alors leur indépendance. »
IP permet déjà cela. Que cela soit délégué à des opérateurs télécoms ou non ne change rien.
Aujourd’hui, dans l’Internet, tout change : sur la couche supérieure, les applications ; dans l’infrastructure, les technologies avec la 4G ou la fibre optique. Seul le protocole IP n’a pas bougé.
Oui, c'est le point central de tout Internet, qui se doit justement d'être le plus simple possible pour que Internet puisse supporter précisément les débits demandés. La nouvelle version d'IP, IPv6, est en route. Cela prendra du temps mais la transition est amorcée, et cela nous promet de long et beaux jours pour l'Internet que l'on aime, pour cet outil d'une société en pleine mutation.